Scandale sanitaire : les huîtres d’Arcachon interdites

Le 22 décembre dernier, la préfecture de Gironde a pris un arrêté d’interdiction de pêche et de commercialisation de l’ensemble des coquillages du Bassin d’Arcachon, après le signalement de plusieurs cas de gastro-entérites liés à la consommation d’huîtres. Près de 150 cas ont été recensés en l’espace de quelques jours. Si l’origine de la contamination reste à confirmer, de récentes pluies diluviennes pourraient avoir lessivé divers polluants vers la lagune, mettant en péril la santé des consommateurs mais aussi toute une filière économique.

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Le Bassin d’Arcachon, un écosystème fragile abritant une importante activité ostréicole

Le Bassin d’Arcachon est une lagune de 156 km2 semi-fermée, située sur la côte atlantique du sud-ouest de la France, et communiquant avec l’océan par un étroit goulet. Constituant un site naturel remarquable, elle abrite des herbiers, des dunes boisées et des prés salés, ainsi qu’une faune et une flore diversifiées.

La lagune est également le support d’activités économiques variées, en particulier la conchyliculture qui représente le premier employeur du bassin. On y dénombre 171 entreprises ostréicoles, employant plus de 3000 personnes et commercialisant 10 000 tonnes d’huîtres chaque année, soit un quart de la production nationale.

Or cet écosystème fragile subit de plein fouet les conséquences du changement climatique, avec des pluies de plus en plus intenses, ainsi que diverses pressions liées au développement urbain et aux activités humaines : pollutions, artificialisation du littoral, surfréquentation touristique… Autant de facteurs de stress pour les huîtres mais aussi pour l’ensemble des organismes peuplant la lagune.

Des pluies diluviennes à l’origine probable de la contamination des coquillages

Si l’origine précise de l’épisode de contamination reste à confirmer par des analyses complémentaires, les services de l’État privilégient pour le moment l’hypothèse de dysfonctionnements au niveau de stations d’épuration, qui n’auraient pas correctement traité les importantes arrivées d’eaux pluviales suite aux pluies diluviennes des dernières semaines.

« Les stations du Teich et de Biganos n’ont pas réussi à absorber les volumes importants d’eau de pluie, ce qui a entraîné des débordements vers le milieu naturel » explique le directeur de l’eau et de l’assainissement du Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon (SIBA).

Outre les dysfonctionnements ponctuels des réseaux d’assainissement, le lessivage des sols par des précipitations exceptionnelles peut également entraîner ruissellements et transferts de polluants (nitrates, pesticides, résidus médicamenteux…) vers les cours d’eau et la lagune.

D’autres sources de contamination sont également envisagées :

  • Des rejets directs d’eaux usées non traitées ;
  • Des apports liés au nautisme et aux différents ports du Bassin.

Quoi qu’il en soit, le coupable est très certainement « un cocktail de différentes pollutions » affirme le président du Comité régional de la conchyliculture Arcachon Aquitaine, qui appelle à investiguer sérieusement pour prévenir de futurs épisodes.

Des norovirus à l’origine des intoxications, mais un cocktail plus large de polluants suspectés

La présence de norovirus entériques a été confirmée dans certains lots d’huîtres analysés. Ces virus très contagieux, responsables de la gastro-entérite, persistent plusieurs semaines dans l’eau et peuvent contaminer les mollusques filtreurs tels que les huîtres.

Mais outre ces virus, un cocktail plus large de polluants est suspecté : potentiellement des phycotoxines (produites par certaines algues) ainsi que des polluants chimiques qui peuvent s’accumuler dans les chairs des coquillages : métaux lourds, hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), résidus phytosanitaires, perturbateurs endocriniens ou encore microplastiques.

« L’huître fait office de concentrateur et de filtre, en bioaccumulant tous les polluants présents dans l’eau » rappelle un toxicologue de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Plus de 150 cas de gastro-entérites recensés

En l’espace de quelques jours, plus d’une centaine de cas de gastro-entérites ont été signalés par le Centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) de Bordeaux, après consommation d’huîtres crues ou peu cuites issues du bassin d’Arcachon.

Les personnes intoxiquées, parfois hospitalisées, présentent des symptômes de gravité variable : nausées, vomissements, diarrhées, maux de tête, fièvre…

« Nous invitons les personnes présentant ce type de symptômes à consulter leur médecin traitant, en précisant qu’elles ont consommé récemment des huîtres » indique l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine.

Les traitements sont essentiellement symptomatiques : réhydratation orale, médicaments anti-nauséeux ou antidiarrhéiques. La guérison survient le plus souvent en quelques jours, mais des formes plus sévères peuvent survenir chez certaines populations sensibles : jeunes enfants, femmes enceintes, personnes immunodéprimées ou âgées.

Des pertes sèches de plusieurs millions d’euros pour les ostréiculteurs

Côté économie, l’interdiction de commercialisation est un coup très dur pour les ostréiculteurs, en pleine période de fêtes de fin d’année qui représente habituellement près de 40% de leur chiffre d’affaires annuel.

« On vend facilement 100 tonnes d’huîtres par jour en décembre. Là c’est 100 tonnes par jour en moins, des pertes sèches… » déplore un producteur en colère. Au total, les pertes pourraient s’élever à plusieurs millions d’euros sur l’ensemble de la filière.

Outre les ostréiculteurs, les mareyeurs et l’ensemble de la filière sont également impactés. « On a dû mettre nos salariés au chômage technique » explique un grossiste en coquillages de la région.

Face à cette situation dramatique, les professionnels réclament des indemnisations pour compenser une partie des pertes subies, ainsi qu’un soutien financier des pouvoirs publics pour traverser cette passe difficile. Ils craignent également un impact durable sur l’image de marque des huîtres « Made in Bassin d’Arcachon ».

Des huîtres stressées et une biodiversité menacée

Au-delà des conséquences sanitaires et économiques à court terme, la pollution de la lagune n’est pas sans effet sur les huîtres elles-mêmes, ainsi que sur l’ensemble des organismes peuplant ce milieu fragile.

On peut craindre une augmentation des mortalités et un affaiblissement physiologique des huîtres exposées à ces polluants, avec à la clé des risques accrus de maladies. Sont également redoutés des effets sur leur reproduction ou encore sur la croissance des naissains et juvéniles.

Plus largement, cette pollution peut engendrer des déséquilibres au sein de la chaîne alimentaire de l’écosystème lagunaire. Ainsi, le développement explosif de certaines algues toxiques est susceptible d’entraîner une raréfaction du phytoplancton dont se nourrissent de nombreuses larves de poissons, crustacés et autres organismes filtreurs.

Par ailleurs, si la contamination perdure, la régression des herbiers de zostères est à craindre. Or ces « prairies sous-marines » jouent un rôle essentiel dans l’écosystème lagunaire : frayères pour de nombreuses espèces, nurserie pour les juvéniles, zone d’alimentation pour les oiseaux… Leur déclin aurait donc des répercussions en cascade sur toute la chaîne alimentaire.

Interdiction temporaire et contrôles sanitaires renforcés

Afin de limiter l’impact sanitaire de cet épisode de contamination, la préfecture a pris plusieurs mesures d’urgence. Tout d’abord, l’interdiction temporaire de la pêche, du ramassage, de l’expédition et de la commercialisation de tous les coquillages en provenance du Bassin. Des analyses régulières sont prévues afin de suivre l’évolution de la contamination et de lever ces interdictions dès que la situation le permettra.

Par ailleurs, les contrôles sont renforcés tout au long de la chaîne de production et de distribution, afin de retirer du marché les éventuels lots contaminés et remonter leur traçabilité.

Les autorités sanitaires recommandent de ne consommer que des coquillages parfaitement cuits, en provenance de zones non touchées par des interdictions. En cas de doute, il est préférable de s’abstenir, notamment pour les populations sensibles (femmes enceintes, enfants, immunodéprimés…).

Vers une amélioration de la collecte et du traitement des eaux usées

Afin d’éviter qu’un tel épisode ne se reproduise à l’avenir, le syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon indique que des investissements seront réalisés pour augmenter la capacité et la performance des stations d’épuration, avec notamment la construction de bassins d’orage permettant de stocker les surplus d’eau lors d’épisodes pluvieux intenses.

L’objectif est également d’améliorer la surveillance en continu du fonctionnement des réseaux d’assainissement, pour détecter plus rapidement tout dysfonctionnement.

En parallèle, la mise en conformité des installations portuaires et nautiques est à l’étude, de même qu’un meilleur contrôle des rejets des bateaux.

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