COP28 à Dubaï : un sommet à la hauteur des enjeux ?

Huit ans après l’adoption de l’Accord de Paris, l’urgence climatique impose aux États de rectifier le tir pour limiter le réchauffement. Solidarité avec les pays du Sud, développement des énergies bas carbone, sortie des énergies fossiles… Les négociations de la COP 28 s’annoncent tendues à Dubaï.

La 28e Conférence des Parties sur le Climat de l’ONU (COP28) s’est ouverte le 30 novembre à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, et elle se poursuivra jusqu’au 12 décembre. L’enjeu est majeur puisqu’il s’agit bel et bien de sauver les objectifs de l’Accord de Paris, signé lors de la COP21 en 2015 : contenir le réchauffement « bien en deçà de 2°C » par rapport à la période préindustrielle, voire si possible en dessous de 1,5°C.

Des avancées sont également attendues sur les enjeux de la finance climat afin d’accroître le soutien aux pays en développement et concrétiser l’accord obtenu à la COP27 pour financer les « pertes et préjudices » subis par les pays les plus durement touchés par les catastrophes climatiques. À l’ordre du jour également, il y a la nécessité de déployer des stratégies d’adaptation aux bouleversements climatiques. Ceci, alors que l’année 2023 sera sans doute la plus chaude de l’histoire et qu’une série d’événements extrêmes a marqué l’été de l’hémisphère Nord.

Quelle réponse politique au premier « bilan mondial » ?

Notons que le point d’orgue de cette COP28 sera bel et bien l’approbation du premier « bilan mondial » de l’action climatique (Global stocktake) par les États membres à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc). Ce « bilan mondial », publié en septembre par la Ccnucc, dresse l’inventaire des mesures prises par les États depuis l’accord de Paris. Le constat est sans appel : « les émissions mondiales ne sont pas conformes aux trajectoires d’atténuation cohérentes avec l’objectif de température de l’accord de Paris. Il existe une fenêtre de plus en plus étroite pour relever les ambitions et mettre en œuvre les engagements existants… ». Autrement dit, si l’accord conclu lors de la COP21 a fait bouger les lignes, les actions mises en place ne sont pas suffisantes. Les experts internationaux estiment que « le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs à long terme ». Ce coup de semonce des Nations unies intervient alors que le réchauffement climatique d’origine humaine atteint déjà 1,2 °C. Le rapport appelle les Etats à « réduire les émissions mondiales de GES de 43 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2035, par rapport aux niveaux de 2019 », seul chemin pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

« Ce n’est pas le bilan en lui-même qui changera la donne, c’est la réponse mondiale qu’il suscitera qui fera toute la différence », explique Simon Stiell, secrétaire exécutif des Nations Unies pour le changement climatique. « Le succès du bilan mondial déterminera le succès de la COP28. C’est le moment décisif de cette année ». Il s’agit d’apporter une réponse politique à ce bilan pour rectifier la trajectoire et de fixer un nouveau cap dans l’action climatique des pays, avec si possible, un plan d’action clair afin d’éviter les pires conséquences des changements climatiques.

Or pour l’instant, aucun consensus ne se dégage vraiment sur les réponses à apporter. Si de nombreux pays (pas tous) sont favorables à des objectifs collectifs pour le développement des énergies renouvelables, la question de la sortie des énergies fossiles que l’ONU a remise au cœur de l’agenda reste encore en grande partie tabou… Alors que le charbon, le pétrole et le gaz sont à l’origine de 79 % du total des émissions de GES à l’échelle mondiale ! L’Agence Internationale de l’Énergie est pourtant très claire : aucun nouvel investissement dans des projets d’exploitation d’hydrocarbures n’est compatible avec l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Pourtant jusqu’ici, aucune fin du pétrole et du gaz n’a été esquissée : seule une « réduction progressive de l’énergie produite grâce au charbon » a fait l’objet d’un engagement lors de la COP26.

Dans ce contexte, la tentation existe de la part de certains acteurs de cette COP28, d’éluder ou de dégonfler le sujet de la sortie des énergies fossiles en se concentrant uniquement sur les énergies renouvelables. Tripler d’ici 2030 la capacité des renouvelables, doubler le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique, promouvoir l’hydrogène vert : ces propositions sont sur la table… La fin des nouveaux projets ou la réduction des subventions et des investissements dans l’industrie des hydrocarbures (1,342 milliard de dollars par an sur la période 2019-2021) devrait en outre faire l’objet d’âpres négociations.

Doutes et conflit d’intérêts sur la présidence de la COP28

Ces discussions s’ouvrent dans un contexte marqué par les doutes sur la capacité de la présidence de la COP28 à porter un accord ambitieux dans ce domaine. En effet, le président de la COP28, Sultan Al Jaber, est non seulement le ministre de l’Industrie des Émirats Arabes Unis, mais aussi le PDG de l’Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), la compagnie nationale pétrolière et gazière. Cette dernière continue d’investir massivement dans le développement des énergies fossiles. Même s’il est également PDG de Masdar, la société gouvernementale d’investissement dans les énergies renouvelables, qui revendique avoir investi plus de 30 milliards de dollars dans des projets dans le monde entier, le conflit d’intérêts est patent et a été largement dénoncé par les ONG de défense de l’environnement, ainsi que par plus de 130 parlementaires européens et américains. Comment le PDG d’une grande compagnie pétrolière et gazière peut-il présider un sommet mondial qui doit s’engager sur la sortie des énergies fossiles ?

En 2021, Al Jaber plaidait pour « investir 600 milliards de dollars tous les ans dans le pétrole jusqu’en 2030, pour satisfaire la demande mondiale ». Adnoc, la compagnie qu’il dirige, prévoit d’investir 150 milliards de dollars entre 2023 et 2027 pour porter sa capacité de production de 4 à 5 millions de barils de pétrole par jour. En août 2023, elle annonçait également un contrat de 3,6 milliards de dollars pour étendre une importante infrastructure de traitement du gaz. Pour le président émirati de la COP28, la sortie des énergies fossiles n’est pas pour demain. Début novembre, le fil anglophone de l’Agence France Presse a montré que le puissant cabinet de conseil McKinsey aidait l’équipe d’Al Jaber à préparer le sommet en proposant notamment des scénarios de transition énergétique, comme la réduction de la part du pétrole de 50 % en 2050. Une trajectoire en totale contradiction avec les alarmes des scientifiques. 

Derrière les belles « ambitions écologiques » annoncées par les Emirats arabes unis, le pays est surtout le septième producteur mondial de pétrole, selon le département américain de l’énergie, et l’un des 5 principaux pays exportateurs. C’est aussi le cinquième plus gros émetteur de CO2 par habitant de la planète, selon la Banque mondiale.

Dans ce contexte, les ONG de défense du climat craignent que la COP28 soit gangrenée par les lobbys de défense des intérêts des multinationales productrices d’énergies fossiles et que la réduction massive de la consommation d’hydrocarbures, pourtant indispensable à l’atteinte des objectifs climatiques, ne soit renvoyée aux calendes grecques. Une inquiétude d’autant plus forte que plus de 600 lobbyistes des industries fossiles avaient déjà été repérés à la COP27, en Egypte, et que ceux-ci avaient réussi à minimiser les engagements des pays. Pour la première fois, à Dubaï, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a d’ailleurs un stand à la COP. Un signe ?

Auteur de l’article : Camille

Grande voyageuse et très sensible à tout ce qui touche à l’environnement, je tire la sonnette d'alarme à travers ce site afin de sensibiliser les plus sceptiques !